Direction Saint-Creux des Meuh-Meuh

Parce que sa mère est décédée en couches et que son père noie depuis son chagrin dans l'alcool, Johan a grandi en étant livré à lui-même. Aussi est-il plutôt soulagé lorsqu'une travailleuse sociale sonne à la porte, la veille de son quinzième anniversaire, afin de le conduire dans une famille d'accueil le temps que son père se reprenne en main. Il ne s'attendait toutefois pas à être parachuté sur une ferme malodorante, dirigée par un couple tout droit sorti d'un cirque: elle, une force de la nature éternellement enjouée, dont la frêle silhouette de naine n'a d'égal qu'une énergie débordante, et lui, un colosse barbu de peu de mots, mais très attentionné. Tous deux ont déjà à charge quatre pupilles âgées entre 10 et 17 ans: Élie, un gringalet hyperactif, Jean-Guy, un autiste enfermé dans son mutisme qui pique une crise terrible dès qu'on lui adresse la parole, Fred, un dur au coeur tendre, et Charlaine, une superbe beauté à l'air revêche. Tout en participant aux corvées parfois éreintantes et en se familiarisant avec les animaux, l'adolescent découvre les bonheurs de l'amitié et de la vie de famille qui lui ont tant manqués, entre les baignades dans le ruisseau, les balades en VTT, les cabanes dans les arbres et les soirées passées à discuter ou à jouer à des jeux de société. Jusqu'à ce que l'arrivée d'un nouveau pensionnaire menteur, manipulateur et cruel fasse tout voler en éclats ... [SDM].

Un roman réaliste et touchant ayant pour héros un adolescent doté d'une capacité de résilience extraordinaire, qui s'ouvre au monde et goûte enfin aux bonheurs de l'enfance qui lui ont jusqu'alors été refusés. Ceci tout en affirmant ne pas en vouloir à son père, bien que les quelques souvenirs émaillant la narration révèlent à quel point sa vie fut difficile dans un petit appartement miteux où il n'osait ramener personne. C'est avec une lucidité certaine, dénuée de pathos et teintée d'un humour parfois mordant, que le héros relate, dans une langue bien québécoise, cette étape marquante de son existence, qui lui permet de grandir, d'aller vers les autres et de se délester de ses préjugés sur la campagne. L'ensemble demeure cependant très léger, voire même anecdotique. L'ouverture et le dénouement du roman, un peu bâclés, occultent complètement le fonctionnement de la DPJ, tandis que les personnages (pourtant délicieusement colorés et excentriques) auraient gagné à être approfondis. La relation de Johan avec son père, l'autisme dont souffre Jean-Guy et le comportement de Jacob (qui arrive comme un cheveu sur la soupe et met un terme à la famille d'accueil en provoquant volontairement l'incendie meurtrier de l'étable) auraient en effet mérité d'être fouillés. Quelques illustrations en noir et blanc jalonnent l'ensemble, qui se laisse néanmoins bien lire et dont la chute, en demi-teinte, laisse présager une suite aux aventures de Johan, dont le père n'est pas prêt à le reprendre. [SDM].